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Le monde vivant est d’une complexité spectaculaire, mais la théorie de l’évolution permet d’en comprendre, pas-à-pas, les méandres. La modélisation est un outil puissant pour dépasser les limites de notre intuition et comprendre comment des phénomènes complexes émergent à partir d’ingrédients simples. Évidemment, lorsqu’on change la liste d’ingrédients, le résultat final peut changer, rendant cruciale leur connaissance.

Mon objectif général est d’intégrer des informations concernant les mécanismes qui sous-tendent les phénotypes – de la relation entre le génotype (ou tout autre support d’information) et le phénotype – pour construire des modèles d’évolution réalistes. Cette démarche évite d’avoir à faire (trop) de choix arbitraires, notamment sur la distribution des effets des mutations, et sur les contraintes qui peuvent régir l’évolution : il peut y avoir de la pléiotropie, de la robustesse, des compromis évolutifs, et ces descripteurs de la distribution des effets mutationnels peuvent eux-mêmes évoluer.

Sans que je puisse bien l’expliquer, ces mécanismes qui sous-tendent les phénotypes forment des réseaux, dont (ou dans lesquels) j’étudie l’évolution. Trois m’occupent actuellement : les réseaux de gènes, les réseaux endocriniens et les réseaux métaboliques.

Les réseaux des gènes sont formés par les relations de régulation de l’expression des gènes. Certains gènes codent pour des régulateurs (par exemple les facteurs de transcription) qui interagissent avec certaines petites séquences entourant d’autre gènes et modifient leur transcription. Petite parenthèse : c’est un bon exemple pour montrer l’intérêt de la modélisation mécanistique ; on peut faire des modèles simples où ces relations apparaissent ou disparaissent, avec certaines probabilités, mais en réalité la ou les séquences régulatrices peuvent être plus ou moins proches de la « bonne » séquence, si bien que ces probabilités vont elles-mêmes changer au cours du temps, ce qui ne peut pas être pris en compte sans modéliser explicitement les changements des séquences régulatrices.

Ces réseaux de gènes sont à l’origine de nombreux (tous les ?) phénotypes. Mais leur fonctionnement est soumis à une part de bruit, le nombre de copies d’éléments produits par chacun de ces gènes (ARN et protéines) variant obligatoirement d’une cellule à une autre. Je prends en compte la présence de ce bruit d’expression (thèse de Florian Labourel), pour modéliser son exploitation permettant de générer des stratégies de bet-hedging diversifiant (l’expression aléatoire de divers phénotypes par un seul génotype) et de la multicellularité (mais on s’est un peu cassé les dents là-dessus !).

Mes projets actuels sur ce thème concernent (toujours) l’évolution du bet-hedging et de la multicellularité. Je m’intéresse aussi à l’émergence et à l’évolution de système d’hérédité non génétiques (Rajon et Charlat, 2019), pour lesquels ces réseaux sont un terreau idéal semble-t-il : bizarrement une grande majorité ses mécanismes d’hérédité non-génétique décrits interviennent dans les réseaux de gènes (petits ARN, méthylation, etc.).

Les appariements physiques entre hormones et récepteurs sont à l’origine de nombreux phénotypes observés chez les organismes multicellulaires, et surtout des relations entre ces phénotypes. C’est dans ce cadre que je me suis intéressé à leur évolution (thèse de Salomé Bourg), afin de modéliser l’évolution de la forme des trade-offs (Bourg et al, 2019).

Sur ce thème, j’ai pour projet de construire un modèle permettant de comprendre l’évolution des dynamiques temporelles (au cours de la vie) d’allocation d’énergie aux traits d’histoire de vie.

Sans enzyme, pas de vie possible : les réactions biochimiques qui fournissent aux êtres vivants énergie et matériaux de construction, à partir de ce qui se trouve dans leur milieu, seraient beaucoup trop lentes pour soutenir le rythme des organismes autorépliquants. Pourtant, l’image d’Epinal d’enzymes hyper efficaces, fonctionnant aux limites de ce qui est possible physiquement, ne résiste pas à l’analyse de leurs constantes cinétiques.

Pour le comprendre, nous (thèse de Florian Labourel) avons construit des modèles d’évolution des enzymes intégrant une caractéristique essentielle des êtres vivants reposant sur l’efficacité enzymatique (la compétition pour les ressources) et des détails de l’environnement d’une enzyme (réaction catalysée, caractéristiques du métabolite produit, etc.). Ce travail a montré que l’inefficacité observée peut être comprise par un plateau au-delà duquel augmenter l’efficacité augmente peu la valeur sélective (Labourel et Rajon, 2021).

D’autre part, l’intégration des contraintes cellulaires régissant l’expression (coûteuse) de ces enzymes a permis de comprendre pourquoi, parfois, des organismes relarguent des métabolites permettant encore de générer de l’énergie, au profit d’autres, faisant ainsi la lumière sur l’évolution d’interactions de cross-feeding communes dans les communautés microbiennes (Labourel et al, 2021).

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